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«Les grèves en France ont entaché l’ouverture du Léman Express»

Une gare
Si de nombreux Genevois ont pris l'habitude d'utiliser le Léman Express, les Français sont encore peu nombreux sur les quais de la nouvelle ligne entre la Suisse et la France. Keystone / Martial Trezzini

Un mois après sa mise en service, le nouveau réseau ferroviaire de la région genevoise entre la Suisse et la France tient-il ses promesses? Les frontaliers français semblent encore peu nombreux à être conquis par le Léman Express. La faute aux grèves contre la réforme des retraites qui minent l’Hexagone, estiment certains observateurs.

Il a été surnommé «le chantier du siècle». Avec ses 45 gares et ses 230 kilomètres de voies en Suisse (canton de Genève et de Vaud) et en France voisine (Haute-Savoie, Ain), le Léman Express Lien externea l’ambition de révolutionner la mobilité dans le Grand Genève, en réduisant de 12% le trafic motorisé.

Carte du Léman Express Léman Express

Pour savoir si ce Réseau Express Régional (RER) est à la hauteur des attentes des usagers, nous l’avons emprunté de la gare de Genève pour nous rendre dans la ville française d’Annemasse. Sur le quai baigné de soleil, Jean-Marc tapote sur son smartphone. «Aujourd’hui, le Léman Express m’a permis d’arriver à l’heure à un rendez-vous d’affaires», affirme-t-il. Le Genevois estime avoir gagné une quinzaine de minutes. Pour le moment, il utilise le nouveau réseau ferroviaire pour traverser la ville, mais il compte bien l’emprunter lorsqu’il devra se rendre à Annemasse. «Avant, je prenais la voiture, mais désormais le train est beaucoup plus pratique», estime-t-il.

Monique swissinfo.ch

Un peu plus loin, Monique, maman de jour, attend la prochaine rame avec le petit garçon qu’elle garde. «Cet après-midi, on se balade en train, et il adore cela», dit-elle. Ils restent également du côté suisse, entre Versoix et Chêne-Bourg. «C’est un gain de temps extraordinaire. Malgré un changement de train, nous gagnons environ 20 minutes», estime Monique.

L’écartement des voies comme seul point commun

Assis sur un banc, vêtu d’une veste en duvet bleue et d’un bonnet, un mécanicien sur locomotive profite d’une pause au soleil avant de conduire le prochain Léman Express à Annemasse. «Le réseau ne fonctionne pas encore aussi bien qu’il le devrait en raison des grèves en France», déplore-t-il. Il constate que les usagers sont, pour l’instant, principalement des Genevois. «Je ne sais pas si les frontaliers l’utiliseront», dit-il, d’un air dubitatif.

«En France, un double signal orange signifie que le train doit ralentir à 30 km/h. En Suisse, cela veut dire qu’il doit s’arrêter»
Un mécanicien sur locomotive

L’ouverture du réseau transfrontalier a aussi eu un impact sur son travail. «Nous avons dû suivre une formation de deux semaines pour pouvoir conduire les nouveaux trains», raconte le mécanicien. Il a fallu apprendre à maîtriser les différences entre les réseaux ferroviaires suisses et français, dont le seul point commun est l’écartement des voies. Le voltage, les systèmes de sécurité, la signalisation, tout diffère. Les véhicules utilisés sont bimodes afin de leur permettre de circuler dans les deux pays. Lorsqu’il franchit la frontière, matérialisée par un simple signal au milieu d’un tunnel, le train change de mode.

Les réglementations française et suisse comportent parfois des différences fondamentales. «En France, un double signal orange signifie que le train doit ralentir à 30 km/h. En Suisse, cela veut dire qu’il doit s’arrêter», explique l’employé des chemins de fer helvétiques. Pour l’instant, quelque 40 mécaniciens ont bénéficié de la formation qui leur permet d’être aux commandes du Léman Express. À terme, ils devraient être environ 120.

La nouvelle gare d Annemasse
La nouvelle gare d’Annemasse avec l’ancien bâtiment en arrière-plan swissinfo.ch

A Annemasse des quais neufs mais vides

Le mécanicien entre dans la cabine de pilotage, les portes se ferment et le train s’élance sur la ligne qui relie Genève à Annemasse, en une vingtaine de minutes. Ce tronçon de 16 kilomètres constituait auparavant le chaînon manquant pour relier les deux pays. Les passagers étaient contraints de prendre un tram et un bus pour effectuer ce trajet, ce qui pouvait prendre plus d’une heure selon la densité du trafic.

Notre voisin de compartiment est venu spécialement de Saint-Gall (Suisse alémanique) pour tester l’offre. «Je suis un fan de trains, et je voulais découvrir la nouvelle ligne», explique Lucien, qui travaille également pour les Chemins de fer fédéraux (CFF). Le convoi s’arrête dans les cinq nouvelles gares souterraines aux allures presque futuristes, avant d’arriver en France. À Annemasse, les quais ont été entièrement remis à neuf, mais sont quasiment déserts. Un nouvel édifice plus moderne est sorti de terre pour abriter les différents services de la gare. À côté, trône encore l’ancienne gare, dont la démolition n’est pas terminée. Autour du bâtiment, d’importants travaux sont encore en cours.

soumya
Soumya swissinfo.ch

«Les Français ont besoin d’un temps d’adaptation»

Un quart d’heure plus tard, nous entrons dans une rame qui nous ramènera à Genève. Les passagers ne se pressent pas au portillon. Un petit groupe de dames retraitées entre de manière hésitante. «La deuxième classe, c’est bien ici?», nous demandent-elles. Aujourd’hui, elles ont décidé de tester pour la première fois le Léman Express pour se rendre à Genève. «Je trouve qu’il n’y avait pas assez d’indications à la gare d’Annemasse. Nous ne savions pas sur quel quai nous devions nous rendre», déplore l’une d’entre elles.

À côté, Soumya se montre plus optimiste. Cette Française établie près de Genève se rend deux fois par semaine à Annemasse pour rendre visite à ses parents. «Non seulement le trajet est plus court, mais surtout il est plus agréable. Dans le bus, je devais rester debout. Comme je suis enceinte, je trouvais cela pénible. Dans le train, il y a toujours de la place», remarque-t-elle. Elle reconnaît cependant qu’elle croise encore peu de ses compatriotes sur cette ligne: «Je suis persuadée que les Français vont l’utiliser, mais il va falloir un temps d’adaptation. Avec les grèves, ils craignent d’arriver à la gare et de ne pas trouver de train.»

François swissinfo.ch

Un gain de confort et d’argent

De retour à la gare de Genève à l’heure de pointe de la fin de journée, le nombre de passagers qui attendent le Léman Express a redoublé. Parmi eux, on rencontre des frontaliers. François, un Annemassien qui travaille à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève, a pris un abonnement d’un mois pour tester la liaison ferroviaire transfrontalière. «Avant, je prenais la voiture et me retrouvais régulièrement bloqué dans les embouteillages. Je gagne peu de temps, mais beaucoup de confort et de tranquillité», affirme ce dernier. Financièrement, il considère qu’il s’agit également d’une bonne affaire, car il ne doit entre autres plus payer les frais de parking à Genève.

«Avec les grèves, ce n’est pas possible d’effectuer la totalité du trajet en train, mais je le ferai aussitôt que la situation sera normalisée»
Céline

Céline et sa collègue de travail, qui porte le même prénom, sont aussi conquises par leur nouveau moyen de transport. L’une vit en France et l’autre en Suisse, mais elles ont toutes les deux opté pour le train. Celle qui vit dans la commune française de la Roche-sur-Foron est pour le moment contrainte de se rendre en voiture à Annemasse. «Avec les grèves, ce n’est pas possible d’effectuer la totalité du trajet en train, mais je le ferai aussitôt que la situation sera normalisée», assure-t-elle.

Céline déplore le fait que l’inauguration du nouveau réseau ferroviaire ait coïncidé avec les grèves dans l’Hexagone. «Cela a entaché l’ouverture du Léman Express», regrette-t-elle.

Céline et Céline
Deux collègues, toutes deux prénommées Céline swissinfo.ch

Le scepticisme d’Annecy

Si la desserte entre Annemasse et Genève satisfait les usagers, la liaison entre Annecy et Genève est plus controversée. Houda Khattabi, une Suissesse impliquée dans l’association Genevois sans frontière, estime qu’il s’agit de l’un des gros points faibles du Léman Express. Les frontaliers qui y vivent ne se sentent pas encouragés à l’utiliser en raison du tarif (un abonnement mensuel du Léman Express et des réseaux de transports en commun annéciens et genevois coûte 298,50 francs suisses) et du temps de trajet (1h30 en train contre 45 minutes en voiture). Elle espère toutefois que cela changera bientôt, notamment pour des raisons écologiques.

Mais Houda Khattabi en est toutefois convaincue: la voiture restera le moyen de transport dominant, notamment avec le nouveau projet d’autoroute dans le Chablais français. Elle estime que pour améliorer la situation sur le long terme, il faudra optimiser la cohabitation entre mobilité douce, bus et voiture et proposer aux pendulaires différentes alternatives.

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Quid du Pays de Gex?

Le grand oublié du projet est le Pays de Gex, déplore également Houda Khattabi, qui vivait, il y a encore peu, dans cette région que le réseau du Léman Express ne dessert pas. Un oubli fâcheux, selon elle, car «la population du pays de Gex devient au moins aussi importante que celle de Haute-Savoie, notamment avec les quelque 15’000 internationaux qui y résident et se rendent quotidiennement à l’ONU». 

Comment expliquer cela? Houda Khattabi pense que la raison est double. D’une part, le gouvernement genevois ignorait l’importance de la région de Gex et d’autre part, elle n’était pas une priorité pour les élus français non plus.

Actuellement, un projet d’extension vers le Pays de Gex de la future ligne de tram du Grand-Saconnex est à l’étude. Mais aucun horizon n’est encore en vue. Pour Houda Khattabi, les enjeux restent cependant les mêmes qu’avec le Léman Express: les prix doivent être abordables et des parkings relais P+R doivent être disponibles.

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Nous avons demandé à nos lecteurs leur avis sur le Léman Express. Sans surprise, nombre d’entre eux mentionnent les grèves en France qui perturbent le bon fonctionnement. Si Jane Bréguet est plutôt blasée et écrit que «du côté français c’est la pagaille… comme d’habitude», Arnaud Lemaitre relativise un peu: «Côté français, déjà en grève, pas encore au top! Mais si nécessaire pour le Chablais et trains confortables». 

Du point de vue du réseau justement, certains usagers se sentent mal lotis. L’un d’eux se plaint du fait que depuis Annecy le train ne fonctionne toujours pas et un autre regrette que le Bas Chablais ne soit pas desservi par la nouvelle ligne.

Autre récrimination, le manque d’informations. Brigitte Hofer se demande par exemple «où trouver un bureau pour les billets ou abonnements et les horaires et tarifs». Christiane Kasper indique n’avoir aucune information pour prendre le Léman Express depuis Annecy et demande de l’aide aux utilisateurs. Quant à Remy Tsuihiji, il regrette que les bornes de Thonon et de Reignier ne vendent pas de billets CEVA (Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse) et déplore un matériel vétuste dans ces gares.

D’autres, comme Thierry Séjourné, n’utiliseront jamais le train pour des raisons évidentes: «Je suis artisan et sans mon véhicule et mon matériel à l’intérieur, je ne peux pas travailler». 

De nombreux internautes sont cependant conquis par le Léman Express. On peut par exemple lire: «J’ai pris la ligne depuis la gare des Eaux-Vives jusqu’à Cornavin. Je suis emballée! Confort, tranquillité, rapidité. Ça contraste avec les trams bondés!» dit Magali Llansó. Même son de cloche du côté de Lamine Hamouda: «Ça change la vie, c’est super, je le prends tous les jours». Et Krystel Leclercq d’ajouter: «Je le prends depuis lundi au départ d’Annemasse et le gain de temps est juste génial».

>> Regarder le sujet de la Radio Télévision Suisse (RTS) au lendemain de l’inauguration du Léman Express:

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